Peux-tu nous raconter l’histoire derrière cette photo incroyable où un orang-outan est venu spontanément te voir pour te prendre la main ?
Patrick KIENTZ : Depuis une vingtaine d’années que je pratique la photographie animalière à travers le monde, cette rencontre est celle qui m’aura incontestablement le plus marqué (avec celle de la maman guépard qui m’a confié ses petits en les cachant sous ma voiture pour partir chasser). Je revenais d’une station de nourrissage à travers la forêt, accompagné d’un petit groupe d’amis photographes, et nous avons aperçu ce jeune mâle assis sur le chemin, à une bonne trentaine de mètres. J’adore faire des photos en me plaçant au niveau des yeux de mes sujets, je me suis donc couché par terre, et j’ai installé un boîtier et un 600 mm sur le trépied en position basse. J’ai commencé à photographier l’orang-outan qui a très rapidement semblé intrigué et intéressé par ma présence, et surtout par ma position, couché par terre. Orang-outan signifie en indonésien « homme de la forêt ». Je pense que pour lui, un « homme de la ville », cela se tient debout, et pas couché au sol…
L’orang-outan s’est alors levé, et il s’est approché de moi à pas décidés, pour finalement se coucher juste devant moi, et me fixer droit dans les yeux. Je vous laisse imaginer le rythme cardiaque et l’émotion !!!
J’ai doucement repoussé le trépied et la longue focale, inutilisable à cette distance, sur le côté, et j’ai tout aussi doucement sorti de mon sac photo un appareil, équipé avec un grand angle, un 16-35. Là j’ai commencé à réaliser des photographies de mon nouvel ami, ayant du mal à réaliser ce qui se passait (je ne photographie pas souvent des animaux sauvages au 16 mm !!!).
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises et de mes émotions : sans me quitter des yeux, l’orang-outan a rampé jusqu’à moi, et il m’a attrapé la main, la tirant vers lui sans aucune brutalité… Le temps m’a semblé s’arrêter, c’était un vrai contact, qui s’est terminé lorsque l’un de mes amis photographe, qui était resté quelques mètres en arrière, s’est approché.
Lors de tes observations, as-tu déjà été le témoin d’une confrontation entre deux mâles ? Des interactions entre des individus qui ne se connaissaient pas ? De manière plus générale, comment l'orang-outan (sauvage) réagit-il face à l'homme ?
PK : J’ai effectivement assisté lors de mon dernier voyage, en octobre-novembre 2018, à un combat entre deux mâles. C’est une situation assez exceptionnelle, mon guide, qui fréquente les orangs-outans depuis plus de quinze ans, n’ayant assisté à ce genre de scène que deux fois.
Quant aux quelques orangs-outans totalement sauvages que j’ai aperçus furtivement depuis mon bateau, ils ont fui immédiatement.
Lors de nos échanges, tu as évoqué le fait que les populations locales des villages où tu t’es rendu n’ont pas d’animosité vis-à-vis des orangs-outans et qu’il y a même un développement de l’écotourisme aux retombées économiques positives. Peux-tu en dire plus sur ce sujet, sur ce que tu as pu constater localement ?
PK : Lorsque je suis reparti en Indonésie fin 2018, après 5 ans d’absence, j’avais une boule au ventre, et je craignais de constater que la situation des orangs-outans, dont la forêt est de plus en plus menacée par les plantations de palmiers, n'ait encore empirée.
La situation, et cela a été pour moi un immense soulagement et une grande joie, me semble fondamentalement différente : J’opère à partir d’une petite ville d’environ 5.000 habitants, où pratiquement toute la population en 2013 vivait, ou plus exactement survivait, soit de la pêche, soit en travaillant dans les exploitations de palmiers à huile, responsables de la déforestation.
Ce que j’ai constaté en 2018, c’est qu’une partie non négligeable (30 % selon mon guide) de la population de cette ville s’était aujourd’hui reconvertie dans l’écotourisme ! Les indonésiens ont semble-t-il pris conscience que leur avenir ne serait pas assuré par des sociétés internationales qui massacrent leur territoire et leur forêt pour cultiver de façon intensive les palmiers à huiles, au détriment de la population d’orangs-outans (l’homme de la forêt, il est bon de le rappeler).
Si les gens qui travaillent dans les plantations ont effectivement un, bien maigre, salaire régulier, la première conséquence a été une flambée des prix, et donc un appauvrissement du reste de la population. L’écotourisme respectueux et raisonné est une source de revenus réguliers très importante, et les orangs-outans sont le sujet que les touristes et photographes du monde entier veulent rencontrer.
Les guides sont très impliqués dans la protection des orangs-outans, la répression contre le braconnage a été considérablement renforcée, et les populations dans le parc national de Tanjung Puting sont depuis quelques années en légère progression… comme quoi rien n’est irréversible !
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La Fiche Anigaïdo de l'orang-outan
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