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Le coelacanthe et les especes ‘fossiles’, ces animaux qui nous eclairent sur l’evolution

7 Octobre 2021

(Image : Coelacanthe africain (Latimeria chalumnae) © Julien PIERRE)

Le coelacanthe (à prononcer / se.la.kɑ̃t / soit ‘sé-la-cante’) est un poisson fascinant à double titre car il est à la fois un animal que l’on pensait disparu depuis des millions d’années et il présente des caractéristiques des poissons primitifs qui quittèrent progressivement l’eau il y a quelque 393 millions d’années pour devenir les premiers tétrapodes.

Apparu lors de la période du Dévonien (de -419 à – 358 millions d’années), le groupe des Coelacanthiformes a donc survécu à quatre extinctions de masse et ses espèces actuelles passionnent aussi bien les scientifiques que le grand public parce qu’elles semblent avoir réussi cet exploit sans évoluer.

En quoi le coelacanthe est-il si extraordinaire ? Quelle est la biologie de ce poisson au sujet duquel les découvertes étonnantes continuent de se succéder ? Et que nous dévoile-t-il sur l’évolution des espèces ?

Autant de questions passionnantes auxquelles Anigaïdo se propose de répondre dans ce nouvel article consacré au coelacanthe et aux espèces reliques avec le renfort précieux de Maxence DUCROS qui fort de son master en Paléontologie nous éclairera sur le sujet.

LE COELACANTHE, UN POISSON ETEINT QUI RESSURGIT DU PASSE EN 1938

(Vidéo : 'Le plus vieux poisson du monde, le cœlacanthe, est menacé de disparition' - Chaîne : France Inter sur Youtube)

En 1938, un pêcheur capture dans l’Océan Indien à une trentaine de km de la côte est de l’Afrique du Sud un poisson bien étrange que l’on peine à identifier – et pour cause : il s’agit d’un représentant d’un groupe qui n’était jusque là connu qu’à l’état de fossiles et que les scientifiques pensaient éteint depuis 70 Millions d’années ! La prise sensationnelle du pêcheur est formellement décrite comme une nouvelle espèce : il s’agit d’un coelacanthe de l’espèce Latimeria chalumnae. Pendant des dizaines d’années, d’autres prises se succèdent, essentiellement autour de l’archipel des Comores où le coelacanthe devient un emblème national avec des timbres à son effigie et des rues et une équipe de football nommées en son honneur.

En 1997, nouveau rebondissement avec le ‘poisson surgi du passé’, au large de l’île de Célèbes en Asie du Sud-Est cette fois-ci : un nouveau coelacanthe est découvert, et il appartient à une espèce distincte du Latimeria africain. Formellement décrit en 1999, il s’agit de Latimeria menadoensis, le coelacanthe indonésien de Manado.

En 2020 et grâce à des photos postées par un pêcheur sportif sur les réseaux sociaux, le magazine de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) dévoilait la possible découverte d’une troisième espèce de coelacanthe au large de la Papouasie Occidentale cette fois, dont la population aurait été isolée de celle de Sulawesi du fait d’un mouvement tectonique majeur il y a 20 Millions d’années.

CE QUE L'ON SAIT DES COELACANTHES MODERNES : BIOLOGIE DES COELACANTHES ACTUELS

(Vidéo : 'Finding the Coelacanth | DinoFish' - Chaîne : Nat Geo WILD sur Youtube)

Rare à l’état sauvage, le coelacanthe n’a été que peu observé dans son environnement naturel parce que ses petites populations de quelques centaines d’individus vivent dans des grottes sous-marines par 150 à 300 m de fond. Les premiers à aller à sa rencontre en 1987 à bord d’un sous-marin de poche au large de l’archipel des Comores furent le français Raphaël Plante et l’allemand Hans Fricke. Leur succède le plongeur et réalisateur allemand Peter Timm qui plonge en 2000 à leur rencontre dans les eaux sud-africaines. Il y a enfin deux expéditions Gombessa (le nom du coelacanthe en comorien) en 2009 et en 2013 menées par le biologiste marin Laurent Ballesta qui va ramener des images précieuses du mythique poisson tournées lors de plongées par 120 m de profondeur dans le Jesser Canyon de Sodwana Bay en Afrique du Sud.

Hautement spécialisé et adapté à la vie dans les profondeurs, le coelacanthe est un chasseur solitaire et nocturne qui passe ses journées en groupe dans des grottes sous-marines battues par les courants océaniques.

Poisson massif qui peut dépasser les 2 m de long et les 100 kg, il est, avec les requins et les raies (les chondrichtyens, ou poissons cartilagineux) un des seuls parmi les vertébrés actuels à posséder un crâne en deux parties  (articulées par un muscle basicrânien). Il présente également des caractéristiques rares chez les poissons : des nageoires charnues  (dont des nageoires pectorales qu’il utilise avec beaucoup d’habileté) et une nageoire caudale (= sa queue) qui est constituée de 3 lobes.

Sa longévité est également remarquable : une étude menée en 2021 par des chercheurs de l’Ifremer et du Muséum national d’histoire naturelle de Paris a permis d’établir que le coelacanthe vivrait en réalité un siècle, n’atteignant sa maturité sexuelle qu’autour de la cinquantaine. Sa période de gestation (il est ovovivipare) compte également parmi les plus longues du règne animal puisque les scientifiques ont découvert des petits âgés de 5 ans encore dans le ventre d’une femelle.

En raison de leurs populations réduites vivant dans des zones exposées à la pression anthropique (pêche, pollution), de leur métabolisme lent et de leur cycle de reproduction complexe, les coelacanthes ont le statut d’espèces ‘En danger critique d’extinction’ sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN.

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LES COELACANTHES, PREMIER GROUPE DE POISSONS A SORTIR DES EAUX ?

(Photo : Dipneuste australien (Neoceratodus forsteri) - Wikimedia Commons - Mitch Ames - CC BY-SA 4.0)

Plusieurs caractéristiques anatomiques et génétiques du coelacanthe actuel ont amené à le considérer comme faisant partie d’une famille de poissons dont quelques membres ont quitté leur environnement aquatique il y a 393 millions d’années pour constituer les premiers vertébrés terrestres. Dotés de prémices de poumons, les coelacanthes actuels ont également des nageoires charnues renforcées par des muscles, des amorces de pattes qui leur permettent de se mouvoir voire de saisir des proies avec leurs nageoires pectorales. Si parmi les espèces actuelles de poissons il en est d’autres capables de respirer hors de l’eau (étonnants dipneustes*) ou d’utiliser leurs nageoires comme des pattes pour se déplacer (famille des étranges poissons-grenouilles), les coelacanthes actuels ont pour eux d’avoir conservé une apparence très proche des espèces fossiles de leur groupe.

Est-il pour autant exact de qualifier le coelacanthe actuel de ‘fossile vivant’ ?

* Dipneustes et coelacanthes appartiennent à des groupes de poissons auxquels pourraient être apparentés des espèces ayant joué le rôle de chaînon intermédiaire entre les poissons et les premiers tétrapodes amphibiens. Sur ce sujet complexe, Maxence nous livre les explications suivantes : "l'ancête des tétrapodes ne figure pas parmi eux. En fait, les dipneustes font simplement partie d'un groupe-frère de celui des tétrapodomorphes (tétrapodes et proches parents). Ensemble, ils font partie d'un groupe qui s'appelle les rhipidistiens, et qui est lui-même un groupe-frère de celui des actinistiens (groupe qui contient les coelacanthes). Et rhipidistiens et actinistiens sont rangés dans les sarcoptérygiens (les poissons à nageaoires charnues). Donc en gros, les tétrapodes sont apparentés (de loin) aux coelacanthes, mais le sont davantage aux dipneustes. Là où ils nous renseignent sur notre évolution, c'est plutôt par rapport à avant (ou aux tout débuts) de la transition vers le milieu terrestre, car ils ont gardé certains caractères qui ont été perdus (ou très modifiés) par la lignée des tétrapodes, qui s'est terrestrialisée.".

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DARWIN CONTRE LES COELACANTHES

(Image : Mawsonia Gigas - Wikimedia Commons - DiBgd - CC BY-SA 4.0)

A ce jour, une centaine d’espèces de coelacanthes (du groupe des Coelacanthiformes) ont été décrites à partir de fossiles datés du Dévonien au Crétacé (- 410 à - 66 millions d’années). Loin de l’image d’un groupe aux évolutions figées dans le temps, il a existé une grande diversité chez ces poissons. Même chez les géants du groupe a priori très proches (ils avaient en commun une absence de dents et une taille XXL) comme Megalocoelacanthus (4,50 m de long) et Mawsonia gigas (6 m de long pour un poids de 3.000 kgs !), les lieux de découverte de leurs fossiles attestent que le premier vivait dans des environnements marins côtiers alors que le second vivait dans des eaux douces et saumâtres, des différences marquées pour un groupe longtemps supposé figé et conservateur.

Même si c’est lentement, il est maintenant prouvé que le génome du coelacanthe actuel continue d’évoluer et ne s’est pas figé à un instant T. Concrètement, le coelacanthe d’aujourd’hui n’est pas exactement le même que celui du passé et il en est de même pour toutes ces espèces qualifiées de ‘fossiles vivants’ pour reprendre des mots de Darwin de son ouvrage fondateur L’Origine des espèces. En 1859 le naturaliste anglais a jeté les bases de la théorie de l’évolution qui allait révolutionner la façon d’appréhender le vivant, mais il lui manquait les outils scientifiques et les découvertes paléontologiques pour faire le lien entre les fossiles des formes de vie du passé et les espèces qu’il observait vivantes.

Or le concept de ‘fossile vivant’ est trompeur voire idéologiquement suspect car il laisse une porte ouverte à l’idée qu’une espèce donnée cesserait à un moment d’évoluer parce qu’elle aurait atteint une forme d’absolu, d’adaptation parfaite…

S’il est légitime de considérer des animaux comme le coelacanthe, la limule, le sphénodon ou le nautile comme des espèces reliques ou panchroniques parce qu’ils présentent des caractéristiques morphologiques très proches des fossiles des genres auxquels ils appartiennent, leurs représentants actuels n’ont en réalité jamais cessé d’évoluer.

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TROIS QUESTIONS A MAXENCE DUCROS, MASTER EN PALEONTOLOGIE

(Photo : Le takahé du Sud (Porphyrio hochstetteri), un exemple de 'taxon Lazare' (du nom du personnage resuscité par Jésus dans le Nouveau Testament) - Wikimedia Commons - Judi Lapsley Miller - CC BY 4.0)

Sur le sujet passionnant des coelacanthes et des espèces reliques, Maxence DUCROS, fort de son Master en Paléontologie, nous a donné son éclairage en répondant à nos questions.

Interview :

Bonjour Maxence, et merci de répondre à nos questions. Tout d’abord, que t’évoque le coelacanthe ?

Maxence DUCROS : Bonjour Julien, le coelacanthe m’évoque un exemple extrême de biais du registre fossile. En effet, les plus récents fossiles de coelacanthes connus datent de la fin du Crétacé. En fait, le genre Latimeria, qui regroupe les espèces actuelles, n’est même pas connu dans le registre fossile !

Or, si Latimeria existe, c’est que le groupe des coelacanthes a continué d’exister et d’évoluer entre la fin du Crétacé et aujourd’hui. On a donc une lacune de près de 70 millions d’années dans le registre fossile. C’est ce qu’on appelle un “taxon Lazare”. Un taxon est un terme générique utilisé pour désigner un groupe de classification (par exemple, une espèce, un genre, une famille…). Quand on “perd la trace” d’un taxon, que ce dernier semble éteint, puis semble réapparaître après une durée significative, on a donc affaire à un taxon Lazare. Bien évidemment, toute disparition étant définitive, un taxon Lazare n’a pas pu réellement réapparaître : on a juste perdu sa trace à cause d’une grosse lacune dans le registre fossile.

Cela implique qu’on finira peut-être par trouver des fossiles de coelacanthes qui combleront cette lacune et nous aideront à comprendre l’évolution plus récente de ce groupe… Cependant, les coelacanthes fossiles connus sont plutôt des formes côtières, voire d’eau douce pour certaines. Donc, ils avaient un mode de vie totalement différent de celui des coelacanthes actuels (qui vivent en eaux profondes), et affectionnaient des milieux beaucoup plus propices à la fossilisations et accessibles de nos jours pour les fouilles. Il est donc probable que seules les espèces vivant en eaux profondes aient survécu durant le Cénozoïque, ce qui réduirait nos chances de trouver des fossiles de coelacanthes post-Crétacé.

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LES COELACANTHES NE SONT PAS LES ANCETRES DES TETRAPODES

(Photo © Didier LOYER - Les amphibiens actuels - groupe des lissamphibiens - présentent des caractéristiques communes avec les premiers tétrapodes à être sortis des eaux)

Comment le groupe des Coelacanthiformes est-il présenté et étudié en paléontologie ? Peut-il vraiment être considéré comme le chaînon manquant entre les poissons primitifs à être sortis des eaux et les premiers amphibiens tétrapodes capables d’évoluer à l’air libre ?

Maxence DUCROS : Ils sont très intéressants, car ils sont les seuls représentants actuels d’un groupe autrefois très diversifié, celui des actinistiens. N’ayant pas quitté les eaux comme l’ont fait les tétrapodes, ils ont conservé certaines caractéristiques ancestrales chez les sarcoptérygiens, comme la structure des nageoires (qui se sont extrêmement modifiées en devenant des pattes chez les tétrapodes).

Les sarcoptérygiens sont les “poissons à nageoires charnues”. C’est un groupe qui inclut les actinistiens (dont les coelacanthes) et son groupe-frère : les rhipidistiens.

Les rhipidistiens se divisent eux-mêmes en deux groupes : les dipneustes : des poissons possédant un poumon, et dont il existe toujours des représentants de nos jours ; et les tétrapodes (tetra = quatre, poda = pattes) : les vertébrés terrestres à quatre pattes, ou tout autre descendant d’un vertébré terrestre à quatre pattes (les serpents et les baleines, par exemple, en font donc partie malgré la perte de pattes/retour à l’eau).

Donc, non, les coelacanthes ne sont pas des intermédiaires entre les tétrapodes et leurs ancêtres, car ils sont juste un groupe-frère de celui qui a donné les tétrapodes. Ils ont évolué de leur côté et n’en sont pas les ancêtres.

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LES FOSSILES VIVANTS N'EXISTENT PAS

(Image : Photo de famille de quatre espèces 'vintage' : (haut, de gauche à droite) le nautile et la limule ; (en bas g. à dr.) le sphéndon et le coelacanthe, ici le coelacanthe indonésien (Latimeria menadoensis) - Wikimedia Commons - CC BY-SA 2.5)

Peux-tu nous expliquer pourquoi les ‘fossiles vivants’ n’existent pas et quels termes il faut lui préférer pour qualifier des espèces comme la limule, le sphénodon ou le nautile ?

Maxence DUCROS : Le terme “fossile vivant” ne fait plus partie du vocabulaire scientifique depuis longtemps. Il donne la fausse idée qu’une espèce serait capable de continuer à exister sans continuer à s’adapter. Ce n’est évidemment pas le cas, les environnements étant en perpétuel changement. Il existe cependant des espèces actuelles présentant de grandes ressemblances morphologiques avec leurs cousins ou ancêtres fossiles. Mais on a vu, avec l’exemple du coelacanthe, que ces ressemblances ne sont que superficielles : si les coelacanthes actuels ressemblent à ceux du Crétacé, ils ne leurs sont pas identiques, n’appartiennent pas aux mêmes genres et n’ont pas le même mode de vie.

Parfois, le terme “espèces panchroniques” est employé. Ce n’est qu’une façon pompeuse de dire “fossile vivant”. Le terme “espèce relique”, à la signification un peu différente, n’est guère plus correct. Il n’y a pas vraiment de terme permettant de retranscrire ce concept avec justesse.

En fait, toutes les espèces sur Terre ont des caractères ancestraux, mais aussi des caractères dérivés. Par exemple, le fait d’avoir une main à 5 doigts est un caractère qui remonte à au moins 350 millions d’années, ce qui rend l’humain “primitif” en comparaison du cheval, par rapport au caractère “nombre de doigts”. Les notions de “plus primitif” ou “plus évolué” ne peuvent pas concerner un organisme tout entier, mais seulement des caractères, et seulement en comparaison d’un autre organisme. Ainsi, prétendre que le coelacanthe est un “fossile vivant” est un point de vue très subjectif. Avec nos membres chiridiens à cinq doigts, sommes-nous vraiment plus différents des premiers tétrapodes que ne l’est le coelacanthe de ses ancêtres ?

La notion de fossile vivant reflète simplement une vision des choses conditionnée par l’ego humain. Il n’y a ni terme scientifiquement rigoureux pour le remplacer, ni de réelle utilité à en trouver un.

Crédit article : © Maxence DUCROS et Julien PIERRE

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